Le corps, la douleur et le discernement dans la pratique de Hatha Yoga
- 4 août
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Dernière mise à jour : 7 août
Un article basé sur des réponses données à mes élèves lors d’une formation en anatomie et pathologie.
Par André Borin
Au fil des années, au cœur des formations que je donne en anatomie et pathologie appliquées au yoga, de nombreuses questions essentielles reviennent. Ces interrogations, souvent posées par des élèves sincères, témoignent d’une volonté profonde de comprendre le corps, la pratique, la douleur, et ce que signifie véritablement « faire du yoga ». Ce texte est né de ces échanges. Il en garde le souffle vivant, la spontanéité du dialogue, tout en proposant une réflexion que j’espère utile à celles et ceux qui cheminent.
L’une des premières questions posées portait sur le rôle des asanas : sont-ils vraiment bénéfiques pour le corps, et si oui, de quelle manière ? Ce que j’ai répondu, c’est que oui, sans hésiter. Les postures, lorsqu’elles sont bien enseignées et bien pratiquées, contribuent à renforcer, assouplir et aligner le corps. Elles ont le pouvoir de transformer nos schémas posturaux, d’améliorer la respiration, et de créer plus de fluidité dans les mouvements. Mais il faut se rappeler que ce travail n’est pas purement physique : il vise aussi à libérer. Libérer le corps, bien sûr – des douleurs, des tensions, des restrictions – mais aussi le mental, en l’apaisant, en clarifiant le flot incessant des pensées. Et plus profondément encore, les asanas ont pour but de libérer notre énergie, de réorienter le prana dans une direction plus harmonieuse.

Cela dit, tout cela ne se fait pas sans rencontrer la douleur. Il y a des douleurs qui sont normales, même nécessaires : celle d’un muscle qui travaille, d’un effort juste, d’une résistance que l’on traverse avec conscience. Et il y a celles qui sont le signal d’un danger : la douleur aiguë, instable, vive, qui surgit dans une articulation par exemple, comme dans le genou en posture du lotus. C’est là que le discernement devient essentiel. Un·e professeur·e de yoga ne peut pas se contenter d’un protocole figé ; il ou elle doit apprendre à observer, à écouter, à sentir ce que l’élève ne peut pas encore percevoir lui-même. Ce discernement vient avec le temps, l’expérience, les erreurs aussi.
Le corps, la douleur et le discernement dans la pratique de Hatha Yoga.
Et c’est là que je parle toujours du rôle du professeur. Même après vingt ans de pratique, je continue d’avoir un guide. Parce que sur ce chemin, il est trop facile de se perdre. Nous avons besoin d’un regard extérieur bienveillant, qui ne nous impose rien mais nous aide à voir. Le yoga n’est pas fait pour être pratiqué seul·e dans une bulle. Il est tissé de relations – à soi, aux autres, à la tradition. Trouver un enseignant ou une enseignante avec qui établir une relation de confiance, c’est, à mon sens, une condition précieuse pour progresser sans se perdre.

Une autre question, fréquente, concerne la fatigue ou les douleurs persistantes après une pratique. Sont-elles le signe qu’on a trop forcé ? Il est vrai que ces signaux sont souvent le reflet d’un déséquilibre, mais pas forcément lié à la séance elle-même. Le yoga révèle. Il met en lumière ce qui est déjà présent dans notre vie, notre rythme, notre mode de fonctionnement. La pratique devient alors un miroir : elle nous oblige à ralentir, à nous ajuster, à prendre conscience de nos excès.
Cela demande du temps. Beaucoup de temps. Et surtout, il faut accepter que la pratique du yoga n’est pas un chemin linéaire, ni une performance. C’est pour cela que je dis souvent aux élèves : vous ne sortirez pas d’une formation de 200 heures prêt·e à donner des cours parfaits. Et ce n’est pas grave. Il faut sortir de cette logique capitaliste où l’on croit qu’il faut tout maîtriser vite. Le yoga, au contraire, demande patience, humilité, régularité. Il s’apprend dans la lenteur, dans l’écoute, dans la répétition.

Enfin, une élève m’a posé une question sur les différences entre le Hatha Yoga et le Yin Yoga, du point de vue musculaire. Techniquement, le Hatha contient déjà tout. C’est une pratique complète : elle développe la force, la flexibilité, la stabilité, l’équilibre. Le Yin Yoga, tel qu’on le connaît aujourd’hui, est une création contemporaine, qui propose des étirements profonds, tenus longtemps, souvent dans un objectif de relâchement nerveux. Cela peut être utile, mais cela aurait très bien pu être intégré à une pratique de Hatha douce, lente, ajustée. La tradition du yoga n’a jamais été compartimentée comme on le fait aujourd’hui. Les styles, les noms, les formats, sont souvent plus des réponses à un besoin de marché que de véritables courants issus de la tradition.
Tout cela pour dire que, dans le fond, quelle que soit la forme choisie, le but reste le même : se libérer. Retrouver un équilibre. Apprendre à vivre avec plus de justesse. Et cela ne se fait pas sans effort, mais un effort qui respecte le corps, qui respecte le cœur, et qui respecte le rythme de chacun·e.
C’est en écoutant les élèves que je découvre, encore et encore, la profondeur de la tradition que je transmets. Et c’est en répondant à leurs questions que je continue, moi aussi, d’apprendre.
Namaste.
Par André Borin








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